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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Diabète : une insuline à action rapide inspirée de celle contenue dans le venin d’un mollusque prédateur

Conus kinoshitai. Comme C. geographus, C. tulipa, ce cône, qui se nourrit de poisson, vit au large de l’île de Panglao, aux Philippines © Wikipedia

SOMMAIRE

Décrit pour la première fois par le naturaliste suédois Carl von Linné en 1758 dans la 10e édition du Système naturae, le genre Conus appartient à la famille des Conidae, laquelle fait partie de la classe des mollusques gastéropodes. Les cônes sont des prédateurs carnivores qui possèdent un appareil venimeux. Celui-ci est muni d’un proboscis, une fine trompe. Un liquide venimeux remplit une dent creuse, qui est armée à l’extrémité du proboscis. Celui-ci agit alors comme un harpon qui est brusquement et violemment projeté pour enfoncer la dent dans la proie.

Des animaux marins prédateurs qui utilisent l’insuline comme une arme

Il existe un millier d’espèces de cônes, pouvant être classés en trois groupes en fonction de leur régime alimentaire. On compte ainsi des cônes piscivores (tels que C. geographus) qui se nourrissent de poissons, des malacophages qui capturent exclusivement des mollusques, et des vermivores qui chassent des vers.

Les cônes paralysent généralement leur proie en utilisant les toxines contenues dans leur venin, les conotoxines. Celles-ci sont d’une grande diversité. Le plus souvent, ces toxines se fixent avec une forte affinité et d’une manière spécifique sur des récepteurs de canaux ioniques au niveau du système nerveux.

D’autres cônes, comme C. geographus, C. tulipa et C. kinoshitai, utilisent l’insuline comme une arme. Cette insuline venimeuse se lie rapidement et active les récepteurs à insuline de leur proie, provoquant chez elle un effondrement du taux de glucose qui les handicape pour s’échapper. Les insulines de ces mollusques prédateurs ont évolué de telle façon que leur structure et fonction les rendent capables d’agir très rapidement.

Xiaochun Xiong, Helena Safavi-Hemami, respectivement spécialisés en biochimie structurale des protéines (université de Stanford, Californie) et biologiste (université de Copenhague, Danemark), s’intéressent depuis longtemps aux cônes producteurs d’insuline. En 2020, ils avaient rapporté dans la revue Nature Structural & Molecular Biology avoir isolé l’insuline produite par C. geographus et montré que cette insuline issue du venin de ce cône était dotée d’une action rapide.

On rappelle que l’insuline humaine est composée de deux chaînes polypeptidiques (composées d’acides aminés) reliées entre elles par deux liaisons (ponts disulfures). La chaîne A, qui elle-même contient un pont disulfure, est composée de 21 acides aminés, tandis que la chaîne B renferme 30 acides aminés.

L’insuline du cône C. geographus est dépourvue de huit acides aminés à l’extrémité de la chaîne B, région qui dans toutes les insulines produites par les vertébrés, permet à la fois aux molécules d’insuline de se regrouper en binôme (formant alors ce que l’on appelle un dimère) et de se fixer aux récepteurs à insuline, notamment à celui des poissons et de l’homme.

Il convient de savoir que les insulines ont la fâcheuse tendance à s’assembler entre elles. Ceci explique qu’après avoir été administrée par voie sous-cutanée, la diffusion de l’insuline vers le flux sanguin est relativement lente et que sa disponibilité par l’organisme est donc retardée. L’insuline se regroupe pour former des amas de six exemplaires, des hexamères. Ces assemblages moléculaires diffusent ensuite lentement dans la circulation sanguine, contrairement à ce que l’on observe avec les monomères d’insuline endogène produits par les cellules pancréatiques. Chez les vertébrés, notamment chez les poissons et l’homme, l’insuline est sécrétée sous forme d’hexamère qui se dissocie en dimère, puis en monomère qui se lie au récepteur et l’active.

Une insuline avec une chaîne A rallongée et une chaîne B amputée

Les chercheurs se sont cette fois intéressés à une autre insuline venimeuse, en l’occurrence celle produite par le cône C. kinoshitai et qui active le récepteur à l’insuline des poissons et de l’homme. Elle est, elle aussi, dépourvue de certains acides aminés à l’extrémité de la chaîne B. Cette espèce de cône, qui chasse les poissons, vit au large de l’île de Panglao (Philippines).

En outre, cette insuline montre une élongation de sa chaîne A, avec quatre acides aminés supplémentaires. L’insuline du cône C. kinoshitai diffère également de celle de C. geographus et d’autres insulines venimeuses car elle ne possède pas deux acides aminés aromatiques qui facilitent l’activation du récepteur à l’insuline lorsque d’autres acides aminés de la chaîne B sont manquants. Il apparaît donc que différentes espèces de cônes produisent des insulines de structure différente pour se fixer au récepteur à l’insuline de leur proie.

Les chercheurs rapportent, dans un article publié en mars 2022 dans Nature Chemical Biology, avoir créé une version humanisée active de l’insuline du cône C. kinoshitai, porteuse d’une chaîne A allongée et d’une chaîne B raccourcie.

Ces scientifiques ont caractérisé six insulines venimeuses dotées d’une élongation de leur chaîne A. Utilisant ces séquences, ils ont généré des insulines hybrides mi-venimeuses mi-humaines (désignées Vh-Ins) et par ailleurs dépourvues de certains acides aminés dans la chaîne B. Ils ont ensuite déterminé si ces mini-insulines dérivées de ce mollusque marin étaient capables d’activer le récepteur humain à l’insuline.

Il s’avère que quatre de ces six insulines hybrides, dépourvues de la région impliquée dans l’assemblage de deux molécules entre elles (autrement dit dans la dimérisation), montrent une capacité similaire à activer le récepteur humain à l’insuline (IR). Enfin, deux de ces quatre analogues d’insuline mi-venimeuse mi-humaine possèdent une bioactivité (puissance) similaire à celle de l’insuline humaine.

Les chercheurs ont ensuite utilisé la cryomicroscopie, technique permettant de décrire l’architecture tridimensionnelle de protéines purifiées. Elle permet de déterminer la structure des protéines gelées avec une résolution proche du détail atomique (un dixième de nanomètre). Cela permet de mettre en évidence les conformations prises par la protéine, indispensables à sa fonction biologique. Il a ainsi été possible de déterminer des structures formées entre une région clé du récepteur à l’insuline et ces mini-insulines hybrides.

L’élongation de la chaîne A compense les pertes en résidus sur la chaîne B

Normalement, le récepteur à l’insuline est activé par la même région qui permet aux molécules de se regrouper entre elles. Or, pour créer des insulines hydrides Vh-Ins, ce segment a été retiré. L’analyse en cryomicroscopie a permis de comprendre comment cette insuline humanisée, dépourvue de cette région, parvient tout de même à activer le récepteur.

Les résultats montrent que, pour interagir avec le récepteur à l’insuline, les acides aminés supplémentaires de la chaîne A (au niveau de l’extrémité C-terminale) compensent la perte des résidus manquants de la chaîne B. De plus, l’analyse des images obtenues par la cryomicroscopie a permis de préciser les modifications de conformation du complexe formé entre la mini-insuline et le récepteur et de révéler un nouveau mode de liaison avec ce dernier.

Ces données établissent ainsi un nouveau paradigme en matière de capacités de liaison au récepteur humain à l’insuline. Elles constituent potentiellement une base de départ pour concevoir une nouvelle génération d’insulines à action ultrarapide. En agissant plus rapidement que les insulines actuelles dites à action rapide, elles permettraient aux patients vivant avec un diabète insulino-dépendant de s’administrer leur insuline sans planifier l’injection avant chaque repas du fait de l’absorption différée de l’insuline injectée en sous-cutanée.

Une insuline humanisée dont l’activité biologique est très similaire à celle de l’insuline humaine

Les chercheurs ont montré que l’administration par voie sous-cutanée à des rats rendus diabétiques d’une insuline hybride Vh-Ins (baptisée Vh-Ins-HALQ) a permis d’abaisser la glycémie des rongeurs, dont les niveaux le plus bas correspondent à ceux induits par l’insuline humaine. « Ces observations indiquent que la puissance de l’activité métabolique de l’insuline Vh-Ins-HALQ est similaire à celle de l’insuline humaine », déclarent les auteurs*.

La capacité d’auto-assemblage de l’insuline Vh-Ins-HALQ a été comparée à celle des analogues d’insuline humaine à action rapide (insuline lispro). Il apparaît que dans des conditions de formulation standard, les molécules d’insuline hybride Vh-Ins-HALQ ont beaucoup moins tendance à se regrouper entre elles que celles de l’« insuline lispro », dénommée ainsi car cette insuline recombinante (issue du génie génétique) comporte une inversion de deux acides aminés en C-terminal de la chaîne B, la proline en position B28 et la lysine en position B29.

Ces données structurelles et fonctionnelles montrent que l’insuline Vh-Ins-HALQ pourrait représenter une « tête de série » pour améliorer le délai d’action des insulines. En d’autres termes, sa structure de base pourrait être optimisée afin de développer une toute nouvelle catégorie d’insulines d’action ultra-rapide. Il importera alors de vérifier aussi bien la stabilité de ces molécules d’insuline humanisée que leur sécurité d’emploi.

Ou comment la recherche en biochimie structurale sur les venins de mollusques marins prédateurs pourrait déboucher sur une amélioration des possibilités thérapeutiques dans le diabète. Et comment la biodiversité s’avère une source inépuisable d’innovations médicales prometteuses.

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)


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Il s’avère en outre que l’insuline humaine inspirée de celle produite par le cône C. kinoshitai active moins une seconde voie de signalisation intracellulaire activée par l’insuline humaine, en l’occurrence celle impliquant le récepteur de l’IGF-1R (insulin-like growth factor receptor). Responsable d’une augmentation de la synthèse de l’ADN de cellules en culture, cette voie de signalisation mitogène AKT-ERK diffère de la voie de signalisation métabolique PI3K/AKT. Ces résultats indiquent donc que l’insuline hybride Vh-Ins-HALQ semble avoir une moindre capacité mitogène.

Pour en savoir plus...

Xiong X, Blakely A, Kim JH, et al. Symmetric and asymmetric receptor conformation continuum induced by a new insulin. Nat Chem Biol. 2022 May;18(5):511-519. doi: 10.1038/s41589-022-00981-0

Laugesen SH, Chou DH, Safavi-Hemami H. Unconventional insulins from predators and pathogens. Nat Chem Biol. 2022 Jul;18(7):688-697. doi: 10.1038/s41589-022-01068-6

Xiong X, Menting JG, Disotuar MM, et al. A structurally minimized yet fully active insulin based on cone-snail venom insulin principles. Nat Struct Mol Biol. 2020 Jul;27(7):615-624. doi: 10.1038/s41594-020-0430-8

Ahorukomeye P, Disotuar MM, Gajewiak J, et al. Fish-hunting cone snail venoms are a rich source of minimized ligands of the vertebrate insulin receptor. Elife. 2019 Feb 12;8:e41574. doi: 10.7554/eLife.41574

Safavi-Hemami H, Lu A, Li Q, et al. Venom Insulins of Cone Snails Diversify Rapidly and Track Prey Taxa. Mol Biol Evol. 2016 Nov;33(11):2924-2934. doi: 10.1093/molbev/msw174

Menting JG, Gajewiak J, MacRaild CA, et al. A minimized human insulin-receptor-binding motif revealed in a Conus geographus venom insulin. Nat Struct Mol Biol. 2016 Oct;23(10):916-920. doi: 10.1038/nsmb.3292

Safavi-Hemami H, Gajewiak J, Karanth S, et al. Specialized insulin is used for chemical warfare by fish-hunting cone snails. Proc Natl Acad Sci U S A. 2015 Feb 10;112(6):1743-8. doi: 10.1073/pnas.1423857112

Olivera BM, Seger J, Horvath MP, Fedosov A. Prey-Capture Strategies of Fish-Hunting Cone Snails: Behavior, Neurobiology and Evolution. Brain Behav Evol. 2015 Sep;86(1):58-74. doi: 10.1159/000438449

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