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Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Comment l’insuline sauva la vie d’un futur prix Nobel de médecine

George R. Minot (1885-1950). Nobel Foundation.

SOMMAIRE

C’est l’histoire d’un médecin et chercheur américain dont le destin aurait été fort différent s’il n’avait bénéficié en 1923 d’un traitement par l’insuline pour traiter son diabète qui s’était déclaré deux ans plus tôt. Son nom : George Richards Minot.

Né à Boston (Massachusetts), le 2 décembre 1885, George Minot a étudié à la Harvard Medical School. Il obtient son diplôme en 1912. Très tôt dans sa carrière, il porte un intérêt tout particulier aux maladies du sang. Alors qu’il est étudiant, il a l’occasion, dans le service de son père, médecin au Massachusetts General Hospital, de s’intéresser de près à une maladie : l’anémie pernicieuse. Il voit de nombreux patients passer par des rechutes et des rémissions, mais observe que tous les malades finissent par mourir.

Anémie pernicieuse

L’anémie pernicieuse fut décrite pour la première fois en 1855 par un médecin anglais, Thomas Addison (1793-1860). Elle fut ensuite appelée anémie d’Addison ou anémie de Biermer. En 1872, un médecin allemand, Anton Biermer, décrit également la maladie qu’il a été le premier à désigner sous le terme d’anémie pernicieuse. Cette pathologie est quasiment toujours mortelle car elle évolue vers des troubles neurologiques graves.

Dès 1915, Minot s’attache à étudier le régime alimentaire des patients pour tenter de déterminer une quelconque carence. La similitude de certains symptômes et signes de l’anémie pernicieuse avec ceux de certaines maladies carentielles avait été notée, tout comme le fait que certains types d’anémies étaient parfois associés à une alimentation déséquilibrée. Devenu hématologue, le Dr Minot va développer un intérêt grandissant pour les effets de l’alimentation dans l’anémie.

Mais voilà que Minot, dont la carrière d’hématologue s’annonce prometteuse, tombe malade en octobre 1921. Il a déjà perdu 5,5 kg. Il ne pèse plus que 60 kg pour 1,87 m. Il établit lui-même le diagnostic : il est atteint d’un diabète sévère.

Lorsqu’il consulte une sommité en diabétologie, le Dr Elliott Joslin, il n’est plus en état de travailler. Dans le registre des patients de ce médecin, le Dr George Minot, alors âgé de 36 ans, devient le cas n°2383.

Lors de sa première visite chez le Dr Joslin, une « diète absolue » lui est prescrite. Ce régime de famine empêche les malades de mourir rapidement d’acidocétose diabétique, c’est-à-dire d’une diminution du pH sanguin suite à la présence dans le sang de corps cétoniques. Ce régime alimentaire de famine était basé sur le principe selon lequel les patients ne devaient ingérer que la quantité de nourriture qu’ils peuvent efficacement métaboliser.

Le régime quotidien prescrit au Dr Minot consiste en 189 grammes de glucides, 89 grammes de protéines et 15 grammes de lipides. Une semaine plus tard, il est réduit à seulement 525 calories.

Au cours de l’année suivante, en 1922, le régime alimentaire est cependant moins contraignant. Le poids du patient se maintient à 56 kg. Durant quinze mois, Minot est un patient diabétique en tout point exemplaire, notant et surveillant tout ce qu’il mange et respectant scrupuleusement son régime alimentaire.

Sauvé par l’insuline

En janvier 1923, le Dr Joslin réussit à se procurer suffisamment d’insuline (découverte deux ans plus tôt à Toronto) pour traiter le Dr Minot. L’insuline a sauvé la vie du médecin diabétique. Son état s’améliore, ce qui lui permet de  reprendre son travail.

Désormais, le Dr Minot ne se sépare plus d’une petite sacoche noire en cuir souple qui contient un flacon d’insuline, des seringues, de l’alcool, des compresses, ainsi qu’un petit bloc de papier bleu et quelques crayons. La quantité de chaque aliment est estimée puis notée sur le petit calepin. Il se tourne fréquemment vers sa femme Marian, qui sait mieux que lui évaluer les quantités des aliments : « Combien d’épinard, disais-tu ? Je me suis autorisé un biscuit et un morceau de fromage pendant le cocktail. Je me suis dit que le cracker comptait pour cinq grammes et le fromage pour deux grammes, c’est bien ça, n’est-ce pas ? ».

Mais revenons à l’anémie pernicieuse, objet des recherches du Dr Minot. Les premiers traitements expérimentaux de l’anémie furent conçus par un autre chercheur américain, George H. Whipple. Celui-ci analyse les effets de plusieurs régimes alimentaires sur des chiens rendus anémiques du fait de pertes sanguines provoquées expérimentalement. Il remarque que les chiens qui mangent de grandes quantités de foie produisent plus d’hémoglobine et se rétablissent de leur anémie.

Traitement à base de foie

Ces travaux démontrent de façon certaine l’influence de l’alimentation sur l’anémie. Le Dr Minot décide alors que quelques patients atteints d’anémie pernicieuse ingèrent de petites quantités de foie. Ces expériences ont lieu en 1924 et au début de 1925. Il apparait rapidement que les quantités de foie consommées quotidiennement nécessitent d’être augmentées. Associé à son collègue William P. Murphy, Minot augmente la quantité de foie jusqu’à trouver la dose optimale journalière.

En 1926, George Minot et William Murphy présentent leur travail sur le traitement de l’anémie pernicieuse à l’Association des médecins américains (Association Of American Physicians). Ils annoncent être parvenus à traiter des patients atteints de cette maladie généralement mortelle en leur faisant ingérer d’importantes quantités de foie. Ce traitement fait disparaître l’anémie de 45 patients auxquels ils ont demandé de consommer une demi-livre (environ 230 grammes) de foie de bœuf par jour.

Télégramme annonçant le prix Nobel à George Richards Minot, William Parry Murphy (1892–1987) et George Hoyt Whipple (1878–1976). Stone MJ. Proc (Bayl Univ Med Cent). 2020 Jul 13;33(4):689-692.

La découverte d’un traitement efficace de l’anémie pernicieuse représente un succès majeur de la médecine expérimentale. George Minot, William Murphy et George Whipple se voient décerner le prix Nobel de médecine en 1934.*

Avant de se décider à faire le voyage pour assister à la cérémonie à Stockholm, le Dr Minot contacte Frederick Banting, co-découvreur de l’insuline. Il désire en savoir plus sur la qualité de l’insuline disponible en Suède. Banting rassure Minot en lui indiquant que celle-ci est d’excellente qualité.

En 1927, Edwin Cohn, biochimiste à la Harvard Medical School, développe ce qu’il appelle la « Fraction G », un extrait de foie concentré : 9 à 18 grammes de cette poudre jaune ont une efficacité équivalente à celle de 240 à 350 grammes de foie. En 1931, on parvient à produire des extraits de foie 30 à 60 fois plus efficaces par voie parentérale (injections intraveineuses ou intramusculaires) que par voie orale.

En 1948, deux chimistes, l’américain Karl Folkers et le britannique Alexander Todd, isolent le principe actif contenu dans le foie, qui est dénommé vitamine B12. L’anémie pernicieuse est donc due à une carence en vitamine B12*.

George Minot fut traité par l’insuline durant toute sa vie. Sans ce traitement, découvert en 1921, l’année même où son diabète a débuté, il n’aurait pas découvert en 1926 un autre traitement « miracle », qui contribua à sauver la vie de milliers de patients atteints d’anémie pernicieuse.

En 1960, le Dr Elliott Joslin dévoila sur le mur de sa nouvelle clinique une plaque dédiée au Dr George Minot. L’éminent diabétologue écrira plus tard au sujet de cette plaque que les notes rédigées par le Dr Minot sur les plans diététique et clinique étaient exactes, complètes et précises. « J’aime à penser que sans avoir été lui-même contraint de suivre une diète spartiate, largement composée de 3 % de glucides et de légumes, il n’aurait jamais eu l’imagination, le courage et l’assurance qui lui ont permis de faire en sorte que des patients frêles et faibles atteints d’anémie pernicieuse ingèrent quotidiennement une livre de foie cru ».

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)

* Pour que la vitamine B12 exerce son action, il faut qu’elle soit absorbée. Cette absorption est conditionnée à la sécrétion par l’estomac d’un autre composé, appelé « facteur intrinsèque ». Le médecin-chercheur américain William Castle a montré en 1929 qu’une substance produite par la muqueuse de l’estomac est nécessaire à l’absorption d’un composé capable d’empêcher la survenue de l’anémie pernicieuse. Ces deux substances coopèrent donc. Elles constituent ce que l’on appelle le « facteur intrinsèque gastrique » (sécrété par l’estomac) et le facteur extrinsèque, qui n’est autre que la vitamine B12.

Pour en savoir plus...

Stone MJ. Diabetes mellitus and pernicious anemia: interrelated therapeutic triumphs discovered shortly after William Osler’s death. Proc (Bayl Univ Med Cent). 2020 Jul 13;33(4):689-692. doi: 10.1080/08998280.2020.1784499

Minot GR, Murphy WP. Landmark article (JAMA 1926). Treatment of pernicious anemia by a special diet. By George R. Minot and William P. Murphy. JAMA. 1983 Dec 23-30;250(24):3328-35. doi: 10.1001/jama.250.24.3328

Elliott P. Joslin, MD: a Centennial Portrait. Joslin Diabetic Center.

George R. Minot. Obituary. BMJ. Published 04 March 1950. doi: 10.1136/bmj.1.4652.553-b

George R. Minot. The Development of Liver Therapy in Pernicious Anemia  Nobel Lecture. December 12, 1934. The Nobel Foundation.

George H. Whipple. Hemoglobin regeneration as influenced by diet and other factors*. Nobel Lecture, December 12, 1934. The Nobel Foundation

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