Les données de santé : une révolution pour la recherche et le soin

Jean-Baptiste Beuscart

Jean-Baptiste Beuscart, Professeur de gériatrie et directeur de l’ULR 2694 METRICS, nous présente l’état d’avancement des travaux dans le domaine des données de santé, en particulier dans le WP6 de PreciDIAB dont il est également le leader. Ce WP6 a pour objectif d’améliorer significativement la prise en charge médicamenteuse chez les diabétiques en prévenant la iatrogénie médicamenteuse (effets indésirables provoqués par les médicaments) grâce aux outils numériques et à l’utilisation des données produites en soins courants.

Le système de collecte, stockage et exploitation des données des patients

L’informatisation des données de santé s’est rapidement développée dans les milieux d’exercice de soins grâce à une impulsion politique forte. Des entrepôts de données de santé (EDS) ont été constitués en France, notamment au CHU Lille qui dispose d’un EDS possédant toutes les autorisations et moyens requis afin de collecter les données du soin courant pour plus de 230 000 séjours par an et plus  d’1,6 million de patients suivis depuis le 1er janvier 2008. Les développements des capacités de calcul et de traitement de hauts volumes de données, incluant l’intelligence artificielle (IA), ont révélé le potentiel immense de réutilisation de ces données en termes de recherche ou d’analyse des pratiques professionnelles, par exemple dans le diabète.

Réutilisation des données des patients diabétiques pour identifier les potentiels d’inclusion des essais cliniques….

Ainsi, un des objectifs du WP6 de PreciDIAB est d’utiliser les données riches mais hétérogènes de l’EDS pour identifier les patients diabétiques qui auraient été éligibles pour participer à un essai thérapeutique. Des outils basés sur une IA de premier niveau (alignement terminologique, annotation automatisée, etc.) et de deuxième niveau (classification supervisée et non-supervisée) seront mobilisés à cette fin. L’analyse des données concernant les patients diabétiques hospitalisés au CHU de Lille nous permettra de réaliser des classifications de patients diabétiques en lien avec certaines questions cliniques et de déterminer les capacités de recrutement de patients diabétiques au CHU de Lille. Nous pourrons également déterminer le nombre et les lieux d’hospitalisation des patients potentiellement éligibles, en vue d’améliorer les inclusions dans des essais cliniques. Ces fonctionnalités essentielles sont un véritable atout pour répondre aux attentes des recherches institutionnelles et industrielles.

…une réelle avancée pour les inclusions dans les essais cliniques

D’ores et déjà, l’équipe du WP6, avec le soutien du projet INclude du CHU de Lille, a obtenu les accords réglementaires et un avis favorable du comité scientifique et éthique ainsi que de la Commission médicale d’établissement du CHU de Lille pour analyser rétrospectivement les séjours hospitaliers depuis 2008 chez les personnes diabétiques de 55 ans et plus. L’objectif autorisé par le comité scientifique et éthique est le suivant : créer et tester des algorithmes de détection automatisée (selon une stratégie supervisée ou non supervisée) de situations à risque iatrogène chez les sujets diabétiques, âgés de 55 ans et plus, hospitalisés au CHU de Lille. Les premiers résultats nous ont permis d’établir une cartographie des séjours et des patients du CHU de Lille afin de mieux connaitre la part des diabétiques dans l’ensemble des personnes admises. Ainsi, sur les 464 883 séjours de deux jours ou plus correspondant à 204 108 patients, 76 900 (17% de l’ensemble des séjours) comprennent des personnes diabétiques, soit 38 392 patients (19% de l’ensemble des patients). La grande majorité des personnes diabétiques hospitalisées sont diabétiques de type II (84%) et l’âge moyen est de 70,2 ans. D’autre part, 42% des séjours pour des personnes diabétiques ont bénéficié d’une mesure de l’hémoglobine glyquée* et 95% d’une mesure de la créatinine sanguine*. Ces premiers éléments suggèrent un haut potentiel d’exploitation des données hospitalières chez les diabétiques. Les prochaines étapes de notre projet de grande ampleur consisteront à développer des algorithmes construits à partir de l’expérience d’experts ou par machine learning, et validés dans la perspective d’identifier des patients cibles. Enfin, un outil d’aide pour évaluer le potentiel d’inclusion dans les essais cliniques (nombre de patients éligibles par mois, localisation, circuit, etc.) sera développé en vue de le mettre à disposition des professionnels de santé d’ici 2024.

La réutilisation des données produites en ambulatoire…

Par ailleurs, il est bien établi que 90% des diabétiques de type II sont suivis uniquement en ambulatoire*. Ainsi, le consortium du WP6 vise à développer des stratégies de réutilisation des données numériques produites en soins courants en ambulatoire pour les diabétiques. Il n’existe actuellement pas d’étude sur la réutilisation des données produites en soins courants chez les diabétiques en ambulatoire en France, et les études portées dans des pays anglo-saxons présentent des limites, car rarement spécifiques aux diabétiques et non facilement transposables au contexte français. Nous avons mené une étude pilote dont les résultats montrent qu’une extraction des données des logiciels médicaux en France est difficile et coûteuse pour les professionnels de santé en ambulatoire. Au final, ces professionnels de santé ne peuvent pas évaluer leurs pratiques professionnelles et leurs patientèles grâce à leur logiciel médical.

…des bénéfices directs pour les professionnels de santé et le soin des patients diabétiques

Aussi nous proposons, en collaboration avec des professionnels de santé en ambulatoire, des membres de l’ULR2694 METRICS, de l’EDS du CHU de Lille et de l’entreprise Weda (fournisseur de logiciel médical), de faire la preuve de concept du stockage des données dans un EDS et de la réutilisation des données pour la détection de situations à risque chez les diabétiques pour une amélioration du soin des patients et des pratiques professionnelles. Il s’agirait là d’une double rupture innovante, d’une part par une relocalisation des EDS au plus près des producteurs de données*, d’autre part par le croisement de données issues de différents professionnels de santé. Nous avons constitué un consortium autour de cette thématique et bientôt nous pourrons développer notre solution et la tester en vie réelle.  Notre objectif, est de consolider une interface qui permettra aux professionnels de santé d’effectuer des requêtes pour détecter automatiquement des situations à risque chez les patients diabétiques (ex : interactions médicamenteuse).

* L’hémoglobine glyquée (ou HbA1c) est le reflet de la glycémie. Tandis que la glycémie capillaire et la glycémie à jeun sont des instantanés de l’état glycémique, l’HbA1c permet, par un dosage sanguin, d’évaluer l’équilibre glycémique sur une plus longue période (environ deux à trois mois)

*Créatine sanguine : la créatinine sanguine est un marqueur du fonctionnement du rein et permet d’estimer la fonction rénale. Ce paramètre est essentiel pour toutes les adaptations thérapeutiques et l’évaluation du retentissement rénal du diabète.

*Ambulatoire (ou soins de ville) sont les soins effectués en cabinets de ville, dispensaires, centres de soins, lors de consultations externes d’hôpitaux publics ou privés, en cures thermales et les actes d’analyse en laboratoire. Ils sont dispensés par les médecins, dentistes et auxiliaires médicaux (infirmiers, kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes) au titre de leur activité libérale.

*Producteurs de données, l’ensemble des professionnels de santé qui travaillent dans cabinets de ville, dispensaires, centres de soins etc

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Edité par Marc Gozlan, journaliste médico-scientifique