Dr Madleen Lemaitre

Dr Madleen Lemaitre

Maître de Conférences des Universités - Praticien Hospitalier au sein du service de Diabétologie Nutrition du CHU de Lille

Le Dr Madleen Lemaitre partage avec nous son parcours de médecin, son expertise en diabétologie et sa vision sur l’avenir de la médecine personnalisée.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et ce qui vous a conduit à choisir la diabétologie ? Qu'est-ce qui vous passionne particulièrement dans cette spécialité ?

Très rapidement au cours de mon cursus, je me suis orientée de manière privilégiée vers les aspects dysmétaboliques de ma spécialité, notamment vers la diabétologie, intriguée par la présentation hétérogène de la maladie. Cependant, ma formation comprend également l’endocrinologie – métabolisme. L’approche multidisciplinaire du patient dans le cadre d’une prise en soin globale est un véritable atout de la spécialité permettant une activité professionnelle variée, mais également la construction d’une véritable relation de confiance soigné-soignant dans le cadre du suivi de cette pathologie chronique.

Originaire des Hauts de France, j’ai rapidement constaté que le diabète et l’obésité étaient de sérieuses problématiques de Santé publique, dont la gestion serait de véritables défis d’avenir.  Ces défis sont multiples, à la fois cliniques et scientifiques, à la fois diagnostiques et thérapeutiques ; c’est cet aspect complexe et translationnel qui m’a conforté dans mon orientation.

Actuellement, les demandes de prise en soin sur le territoire sont nombreuses pour une offre de soins insuffisante. Au sein du service de Diabétologie Nutrition, nous proposons l’accompagnement de patients vivant avec un diabète de type 2 (suivi, optimisation des traitements, éducation thérapeutique, …), de patients vivant avec un diabète de type 1 pour qui l’enjeu actuel est celui des nouvelles technologies (mesure continue du glucose, boucle semi-fermée), mais sommes également recours pour toute situation le nécessitant.

Cependant, je reconnais un attrait particulier pour deux autres aspects spécifiques de la diabétologie. D’une part, la thématique « diabète au cours de la grossesse », exemple de transdisciplinarité avec nos collègues Gynécologues-Obstétriciens, dont la structure fait référence pour la prise en soin du diabète gestationnel mais également prégestationnel. Cette thématique fait d’ailleurs l’objet de ma thèse d’Université. D’autre part, la thématique « diabète atypique », qui de par l’avènement de la génétique et de son accessibilité en soins courants remet l’enquête étiologique au cœur de nos prises en charge afin de permettre l’accessibilité à une médecine de précision et à une personnalisation de l’offre de soin, véritable évolution aux bénéfices certains pour le patient.

Vous êtes activement impliquée dans les réunions de présentation de dossiers de « cas atypiques » construites sur le modèle des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). Pouvez-vous nous expliquer l’objectif de ces réunions et ce que cela change pour les patients et les professionnels de santé ?

Depuis Novembre 2022, nous avons effectivement mis en place ces réunions mensuelles afin de discuter des diabètes et des obésités pour lesquelles le cadre nosologique semble atypique. Elles ont lieu le 2ème mardi de chaque mois au sein du service de Diabétologie Nutrition à partir de 16H00, avec un accès présentiel ou virtuel selon préférence. Tout médecin hospitalier ou libéral de l’ensemble du territoire des Hauts de France peut y présenter son dossier après inscription. Sont présents à cette réunion des représentants de la Pédiatrie, de la Nutrition, d’EGID et de la Diabétologie afin d’apporter une expertise, et de proposer si nécessaire de compléter les investigations, notamment sur le plan moléculaire. Les stratégies thérapeutiques à adopter peuvent également faire l’objet de discussion.

Plus de 300 dossiers ont été discutés ces 2 dernières années. Pour le patient, le bénéfice est certain puisque le diagnostic moléculaire permet de tendre vers la médecine la plus personnalisée possible, permettant dans certains cas des modifications thérapeutiques non négligeables (ex : arrêt de l’insulinothérapie pour certains diabètes monogéniques). Pour les professionnels de santé de l’ensemble du territoire, il s’agit d’une possibilité de concertation avec des interlocuteurs de proximité dans la gestion des dossiers les plus complexes/atypiques. Par ailleurs, ces réunions facilitent l’accessibilité à une médecine de précision pour l’ensemble des patients du territoire, au-delà même du CHU de Lille. Effectivement, régulièrement des dossiers de centres hospitaliers périphériques tels que Calais ou encore Lens sont présentés, permettant ainsi l‘accessibilité au diagnostic moléculaire sans avoir besoin de se déplacer au CHU. Avec le temps, un maillage territorial de professionnels de santé se crée, facilitant ainsi les échanges entre acteurs de santé et enrichissant les connaissances scientifiques sur ces présentations atypiques de diabètes ou d’obésités, adultes ou pédiatriques. Sur le plan de la recherche, les cas identifiés sont collectés au sein d’une base de données dédiée permettant un abord scientifique de ces cas atypiques.

Vous travaillez sur un projet ambitieux de génotypage systématique des nouveaux patients, en collaboration avec LIGAN-PM. Quels sont les principaux résultats attendus et en quoi cela pourrait transformer la prise en charge des patients ?

Antérieurement, l’UMR8199 (Pr Froguel) a mis en évidence près de 7% de mutations rares et pathogènes chez des patients avec un DT2, lors d’un séquençage à grande échelle des gènes impliqués dans le diabète monogénique. Les mutations identifiées concernaient majoritairement des gènes pour lesquels une médecine personnalisée était accessible ou pour lesquels la prévention d’atteintes cliniques spécifiques était à réaliser (ex : dépistage de la polyadénomatose hépatique dans le cadre des mutations HNF1-a).

À l’échelle collective, ce travail devrait permettre de démontrer l’intérêt d’un diagnostic génétique systématique des patients vivant avec un diabète étiqueté de type 2 afin d’améliorer leur prise en soin globale.

À l’échelle individuelle, ce projet permettra d’identifier les différentes mutations rencontrées chez les patients vivant avec un diabète étiqueté de type 2 ainsi que leur fréquence en population. Ces résultats permettront également de tendre vers une médecine personnalisée en optimisant les stratégies thérapeutiques et en prévenant les risques cliniques spécifiquement associés aux mutations identifiées.

Comment envisagez-vous l’avenir de la médecine personnalisée pour le diabète dans les 10 prochaines années ? Quels défis ou opportunités y voyez-vous ?

Comme dans bien d’autres domaines, la médecine de précision se développe en diabétologie et ne cesse de faire l’objet de nouvelles études. Elle est l’avenir de la prise en charge diabétologique, rendant la vision binaire du diabète (type 1 versus type 2) obsolète. Chaque patient pourrait ainsi bénéficier du traitement qui lui est le plus opportun, limitant le risque d’effet indésirable. Cette approche personnalisée permettra non seulement d’atteindre plus rapidement l’objectif thérapeutique visé, de diminuer le risque de comorbidités spécifiques à chacune des mutations identifiées, de diminuer la mortalité précoce et cela à moindre coût. On parle de médecine 4P pour une médecine à la fois prédictive, préventive, de précision et participative. Même si elle n’en est qu’à ces débuts et que la recherche progresse, la médecine de précision représente un avenir pas si lointain en diabétologie, et de manière plus large pour l’ensemble des pathologies métaboliques. Parmi les défis majeurs à résoudre au préalable à ce changement de paradigme, nous pouvons noter l’accessibilité au diagnostic moléculaire sur l’ensemble du territoire et la reconnaissance de l’intérêt de cette médecine de précision par tous et pour tous.

 

 

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Un blog consacré aux mille et une facettes du diabète.
Edité par Marc Gozlan, journaliste médico-scientifique