Pr Anita Morandi

Pr Anita Morandi

Pr Anita Morandi, pédiatre et Professeur de pédiatrie à l’Hôpital-Universitaire et à l’Université de Vérone (Italie)

Aujourd’hui, le  Pr Anita Morandi, pédiatre et Professeur de pédiatrie à l’Hopital-Universitaire et à l’Université de Vérone (Italie), nous parle de son parcours ainsi que du projet européen OBELISK pour prévenir l’obésité des enfants et adolescents.

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a amené à devenir une pédiatre combinant le soin au chevet des enfants et la recherche ?

J’ai commencé à m’imaginer médecin et chercheuse à l’âge du collège et depuis je n’ai jamais pris en considération d’autres types de carrière. La pédiatrie m’a charmée à la fin de mes études de médecine, car elle avait à mes yeux la même amplitude que la médecine interne mais aussi le privilège unique de s’occuper de l’évolution de la personne depuis sa naissance et de tout ce qui peut la menacer. Je me suis inscrite à l’Ecole de Pédiatrie de l’Université de Vérone pour son excellence aussi bien en soins qu’en recherche clinique, particulièrement en endocrinologie, diabétologie et nutrition, ce qui m’a permis de m’occuper d’obésité de l’enfant depuis le début de mon internat de Pédiatrie.

Lors de ma troisième année de Pédiatrie, en 2006, j’ai fait ma première expérience de science en France, auprès de l’UMR8090 à l’IBL de Lille, dirigée par Philippe Froguel, dans le cadre d’un projet collaboratif de recherche translationnelle sur des variants génétiques de risque d’obésité chez une cohorte de patients pédiatriques de Vérone. Cette première permanence à Lille, qui a duré seulement six mois, a été aussi enthousiasmante qu’elle a donné naissance à une collaboration continuée depuis avec l’équipe de Philippe Froguel, centrée sur les bases moléculaires de l’obésité de l’enfant et ses complications, ainsi que sur les stratégies de dépistage précoce et de prévention de ce trouble du poids. Dès la fin de mon internat de Pédiatrie en 2009, je suis repartie pour Lille pour une période de 18 mois dans cette équipe dans le cadre d’une thèse de science en cotutelle codirigée par les Universités de Vérone et de Lille. Cette occasion m’a aussi permis d’affiner mes compétences cliniques en fréquentant le service d’Endocrinologie, Diabétologie et Maladies Métaboliques de l’Hôpital Pédiatrique Jeanne de Flandres du CHU de Lille, dirigé à l’époque par le Dr. Jacques Weill, et caractérisé par le recrutement de nombreux enfants atteints de formes rares et graves d’obésité et de maladie endocrinologiques.

En cette période, je me suis consacrée à une grande étude portant sur trois cohortes pédiatriques provenant de Finlande, Italie et Massachussetts (Etats Unis), qui a permis de démontrer que l’obésité infantile persistante à l’adolescence peut être prédite assez exactement à la naissance, à l’aide de paramètres très simples tels que le poids des parents et de l’enfant, certaines variables sociales et le déroulé de la grossesse. En complément, ma thèse a également porté sur une autre étude concernant le rôle de certains polymorphismes génétiques dans le développement de l’obésité et de ses complications chez une population pédiatrique française provenant des villes de Fleurbaix-Laventie. En 2012, une fois la thèse obtenue, j’ai commencé ma carrière de pédiatre et chercheuse à l’Hôpital Universitaire de Vérone, tout en continuant à partager de nombreux projets et publications avec l’équipe de Lille.

Ainsi, pour un médecin qui fait de la recherche clinique ou translationnelle, la pratique médicale est de première importance pour identifier les besoins principaux du patient et pour y apporter des réponses concrètes notamment grâce à la recherche. L’observation du patient et la relation avec lui/elle et sa famille sont souvent une véritable source d’inspiration également pour la recherche fondamentale, et amènent à des échanges d’idées entre scientifiques académiques et médecins cliniques. Pour moi, ces échanges sont toujours un vrai bénéfice pour identifier les questions les plus primordiales ou pour que les résultats déjà obtenus soient interprétés et présentés de façon utile au progrès médical.

 

*La recherche translationnelle est l’adaptation des résultats de recherches issues des laboratoires au chevet des patients. Elle permet d’accélérer la valorisation des découvertes scientifiques en applications médicales pour les patients.

Nous constatons que le surpoids et l’obésité sont en augmentation au niveau mondiale, en particulier chez les enfants. Pourquoi un tel constat et est-ce que la prévention peut permettre de renverser la situation ?

Dans les pays industrialisés ou en voie d’industrialisation, la disponibilité à grande échelle de nourritures et boissons à haute densité calorique et le grand nombre d’heures quotidiennes de vidéo-exposition (télévision, jeux-vidéo, tablette, etc…) au détriment du temps passé en jeux et occupations actives, contribuent sans doute à la diffusion de surpoids et obésité chez l’enfant. C’est ce qu’on appelle « environnement obésogène ». Les fibres alimentaires, contenues dans les fruits, légumes et farines complètes, sont des composants alimentaires plus protecteurs. Dès lors, les familles obligées d’économiser sur la qualité de l’alimentation, de plus en plus nombreuses en ce moment de crise économique, sont encore plus exposées à l’obésité.

En parallèle, il ne faut pas oublier que tout le monde n’a pas la même susceptibilité génétique à l’accumulation de poids, expliquant que des personnes avec des styles alimentaires et des niveaux d’activité physique similaires peuvent avoir des poids très différents à cause d’importantes différences génétiques impliquées dans la régulation de la dépense énergétique. Cette régulation est très subtile. Par exemple, un apport calorique de 50 calories en trop par jour en présence d’un terrain génétique défavorable, amène l’enfant à l’obésité au bout de quelques années.  C’est justement depuis que le style de vie est devenu « obésogène » pour la plupart des personnes que la génétique produit une grande variabilité de poids entre les individus et constitue le facteur de risque plus important d’obésité, surtout chez l’enfant et l’adolescent. Le risque est bien sûr maximal quand un terrain génétique défavorable coexiste avec des difficultés socio-économiques qui empêchent l’adoption de mesures atténuantes, comme une alimentation riche en végétaux et un style de vie actif.

Garder à l’esprit tout ça aide à comprendre que l’obésité est une question de susceptibilité génétique avant tout et non pas de volonté personnelle, ce qui devrait contribuer à diminuer sa stigmatisation au niveau de l’opinion publique et favoriser des politiques sanitaires de soutien chronique de la personne en situation d’obésité. Pour plusieurs raisons biologiques, diminuer son poids et ne pas avoir de rebondissements de poids après un amaigrissement, est très difficile, aussi bien pour l’adulte que pour l’enfant et l’adolescent. Pour cette raison, la prévention primaire semble aujourd’hui la stratégie plus prometteuse pour lutter contre l’obésité. La possibilité, grâce aux connaissances actuelles, d’individualiser dès la naissance les enfants présentant un risque majeur d’obésité, à l’aide d’informations moléculaires, médicales et familiales, nous donne l’espoir, pour un futur proche, de mettre en place des stratégies de prévention ciblée et personnalisée, qui se concentrent sur les familles des enfants à risque et qui sont adaptées au profil de risque. Ce genre d’approche est probablement plus efficace par rapport aux campagnes et stratégies de prévention généralisées.

L’étude ELIPSE déployée par PreciDIAB s’inscrit pleinement dans ce cadre. En associant du personnel médical, des chercheurs et des associations au plus proche des familles, cette action permet de repérer les enfants avec des profils de risque de surpoids afin de proposer aux familles un accompagnement personnalisé, autour d’ateliers adaptés à chaque enfant.

Cependant, il est probable que la prévention ne soit pas suffisante pour une partie des familles à haut risque, par exemple à cause d’un risque génétique trop élevé, comme dans le cas de certaines formes d’obésité grave et précoce héréditaire. Pour ce type de familles, il est important d’améliorer les stratégies de prises en charge et de suivis, ainsi que d’amplifier les possibilités de traitement pharmacologique.

Vous participez activement au projet européen OBELISK sur la prévention de l’obésité chez l’enfant et l’adolescent. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce projet et ce qu’il va changer pour les enfants et leur famille ?

OBELISK est un grand projet international financé par le fond européen Horizon Europe dans le cadre d’un appel à projets compétitif pour la lutte contre l’obésité. Il fait partie des six projets qui ont obtenu un financement parmi les quatre-vingts qui ont été présentés pour cet appel et il a obtenu 12M€. Le projet est coordonné par l’INSERM (Pr. Froguel), qui forme une équipe multidisciplinaire avec le CHU de Lille, l’institut de recherche EGID et l’UFR3S/Université de Lille, et il repose sur un consortium international de nombreux centres de recherches et universités basées en France, en Italie, en Finlande, en Suède, en Allemagne, en Suisse, en Espagne, en Belgique et au Royaume-Uni.

L’objectif du projet est la prévention et le traitement de l’obésité dès les premières étapes de la vie, ainsi que la lutte contre la stigmatisation sociale. Son objectif principal est la prévention des graves complications sur la santé physique et psychologique associées à cette pathologie de plus en plus répandue chez les enfants. OBELISK vise à moyen et long terme à réduire d’environ 20 % la proportion d’adultes atteints d’obésité et de 30 % celle d’adultes souffrant de complications graves. Cela se traduirait, au niveau européen, par une réduction significative des décès prématurés causés par des troubles métaboliques et cardiovasculaires (diabète, infarctus, accident vasculaire cérébral), ce qui représente environ 300 000 personnes par an.

OBELISK est un projet complexe composé de trois grandes composantes étroitement liées les unes aux autres.

La première composante est la composante préclinique, qui comprend l’étude des mécanismes conduisant à l’obésité à un âge précoce, la mise au point d’outils de dépistage simples (tests moléculaires sur la salive + informations familiales) capables de reconnaître, dès la naissance, ceux qui sont les plus à risque de développer l’obésité, la recherche de formes d’obésité rares héréditaires encore inconnues et la mise à l’essai de nouveaux médicaments ciblant les mécanismes élucidés.

La deuxième composante du projet, dont je représente le leader scientifique, est la composante clinique, qui comprend plusieurs études d’intervention : 1) une grande étude multicentrique internationale de prévention précoce de l’obésité, qui impliquera des milliers de nourrissons à risque suivis de la naissance jusqu’à l’âge scolaire par une équipe spécialisée en prévention et traitement de l’obésité ; 2) une étude sur le traitement de l’obésité et le soutien psychosocial des adolescents issus de familles économiquement défavorisées, qui recevront un soutien concret (aliments sains pour eux et leur famille dans des emballages hebdomadaires) et suivront pendant un an une activité de groupe à distance et en présence, comprenant un cours de hip hop et la réalisation finale d’une vidéo contre la stigmatisation à proposer à la Communauté européenne comme outil de promotion sociale ; 3) une étude expérimentale, chez l’adolescent atteint d’obésité grave héréditaire, d’un médicament déjà utilisé avec succès chez l’adulte atteint d’obésité.

La troisième partie est celle de la dissémination des résultats et de leur traduction en de nouvelles politiques de santé, et comprend des études de rapport coût-efficacité à long terme, l’élaboration et la diffusion de nouvelles lignes directrices pour le diagnostic, la prévention et le traitement, ainsi que la création d’un panel européen permanent d’experts, de politiciens et d’associations de patients, dédié à la promotion de nouvelles stratégies d’approche de l’obésité et de la stigmatisation qui y est associée.

Au final, OBELISK conduira à la mise en place de stratégies de dépistage précoce, de prévention et de prise en charge de l’obésité dans le cadre de la santé publique, ainsi qu’à la promotion de politiques de déstigmatisation des problèmes de poids au sein de l’éducation publique et des grands canaux de communication. En outre, OBELISK promouvra la diffusion de stratégies de support sportif et social pour les jeunes socialement défavorisés en situation d’obésité et poursuivra, comme résultat principal à atteindre, la valorisation de la personne en situation d’obésité à l’intérieur de réseaux permanents de soutien et de soins médicaux. Cela est très important car, l’obésité étant une maladie souvent chronique ou récidivante, un projet de suivi et de soutien à long terme efficace et même valorisant, devient la meilleure façon pour sauvegarder la santé physique et psychologique du patient dans les cas où le poids reste élevé, notamment grâce au dépistage et à la prise en charge des complications ainsi que la promotion d’une vie active.

On parle beaucoup du surpoids et de l’obésité de l’enfant dans les médias en ce moment, notamment à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Obésité qui s’est tenue le 4 mars. Pensez-vous qu’il y a une réelle prise de conscience et que nous sommes à un tournant dans sa prévention et sa prise en charge ?

Oui, je suis tout à fait optimiste à ce sujet. De progrès énormes ont étés fait récemment dans les connaissances des facteurs de risque individuels et sociaux ainsi que dans la conscience que la société et même les professionnels de la santé ont tendance à stigmatiser les problèmes de poids, en empirant les séquelles psychologiques et sociales. Les associations des patients travaillent de plus en plus avec médecins et chercheurs dans les campagnes de sensibilisation et même dans le dessin de projets de prévention et prise en charge. Cela ne pourra que produire une révolution positive dans la façon de concevoir l’obésité et les besoins de santé qui lui tourne autour, soit chez l’opinion publique soit chez les professionnels (scientifiques, sanitaires, politiques) qui prennent de décisions par rapport à prévention et prise en charge.

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Edité par Marc Gozlan, journaliste médico-scientifique