Louise Montagne

Louise Montagne

Pédiatre à l’Hôpital Saint Vincent de Paul et chercheuse attachée à l’UMR 1283/8199

Aujourd’hui, la newsletter PreciDIAB vous invite à découvrir le portrait du Docteur Louise Montagne, elle nous parle de son parcours en tant que pédiatre ainsi que l’importance de prévenir le surpoids dès le plus jeune âge.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amenée à vous spécialiser en pédiatrie et l'intérêt pour vous de combiner le soin et la recherche?

Je me suis inscrite en médecine pour faire pédiatrie et très vite au cours de mon internat au CHU de Lille et à l’hôpital Trousseau, je me suis sur-spécialisée en endocrinologie et diabétologie pédiatrique. Je prends donc en charge des enfants pour des problèmes de croissance, de thyroïde, de puberté ou qui sont atteints de diabète…. Ce qui est passionnant en pédiatrie, et tout particulièrement dans les maladies chroniques, c’est qu’on soigne l’enfant dans sa globalité, tenant compte de sa pathologie mais aussi (et tout autant) de toute sa vie d’enfant : ses parents, sa famille, son environnement, l’école….

Je suis pédiatre à l’Hôpital Saint Vincent de Paul à Lille (Groupement des Hôpitaux de l’Institut Catholique de Lille) et dès mon arrivée en 2011, le Professeur Nicolas Kalach, chef de service, m’a incitée à combiner clinique et recherche. J’ai ainsi pu m’inscrire en thèse de sciences sous la direction du Pr Philippe Froguel et commencer à travailler sur la génétique de l’obésité infantile. Ma participation au sein de PreciDIAB s’inscrit dans la continuité de ce travail.

On entend parfois que le surpoids chez les enfants n’est pas un problème majeur car ils sont en pleine croissance. Quel est votre avis sur ce point ?

Le surpoids des enfants est un problème majeur de santé publique. Un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour la surveillance de l’obésité infantile en Europe (COSI), montrait qu’un enfant européen sur 3 âgé de 6 à 9 ans était en situation de surpoids ou d’obésité en 2017.

Une fois que l’obésité est installée, chez l’enfant comme chez l’adolescent, il est extrêmement compliqué d’inverser la courbe de prise de poids à long terme, malgré les actions de prise en charge. A partir de l’âge de 6 ans, plus de 50% des enfants obèses deviennent des adultes obèses (contre 10% des enfants non obèses) et la proportion passe à plus de 75% pour les enfants obèses de plus de 10 ans. Les adolescents obèses sont aussi beaucoup plus à risque de développer une obésité massive (IMC ≥ 40 kg/m2) à l’âge adulte que les adolescents normo pondéraux ou même en surpoids.

Dans la plupart des pays occidentaux, la prévalence du surpoids à l’âge pédiatrique avait tendance à se stabiliser ces vingt dernières années grâce aux différentes politiques de santé publique. Mais l’épidémie mondiale de Covid-19 a changé la donne et l’obésité infantile connait un rebond depuis 2020 dans tous les pays : l’obésité sévère de l’enfant a doublé en Grande-Bretagne, et la tranche d’âge autour de 6 ans est la plus touchée avec 40% des enfants en surpoids. En France, les données des enfants encore plus jeunes (4 ans) sont tout aussi inquiétantes avec une augmentation significative du nombre d’enfants en surpoids entre 2019 et 2021. Cela s’explique par la sédentarité forcée par la crise sanitaire, avec fermeture des écoles, des centres de loisirs, des centres sociaux, et un recours exponentiel aux écrans pour occuper les enfants. Cette situation est en outre très inégalitaire socialement : en Grande Bretagne comme en France, les enfants des classes socio-économiques les moins favorisées sont beaucoup plus touchés par le surpoids et l’obésité que les enfants des familles favorisées.

Vous êtes investigatrice principale de l’étude ELIPSE – Etude Lilloise de Prévention Santé des Enfants. Pouvez-vous nous en parler et nous expliquer quelle est la différence par rapport aux programmes de prévention existants ?

Il était important que, dans notre région particulièrement touchée par l’obésité, soit mis en place un travail d’envergure à destination des enfants et de leurs familles. Unique en France, innovante et positive, l’étude ELIPSE (Etude Lilloise de Prévention Santé des Enfants) vise à mieux comprendre les facteurs associés au surpoids et à réduire sa survenue chez les enfants des classes de CP des villes de Lille et Hellemmes, par une prévention globale de la santé favorisant le bien-être. Elle propose aux enfants présentant un risque de surpoids de bénéficier d’un programme éducatif personnalisé, composé d’activités ludiques autour de l’alimentation, le sport et le bien-être, afin de leur permettre de grandir en bonne santé. Portée par le CHU de Lille et le Centre National PreciDIAB avec le soutien du Groupement des Hôpitaux de l’Institut Catholique de Lille (GHICL), elle a démarré fin novembre 2021 dans l’ensemble des écoles de la ville de Lille. Complémentaire aux dispositifs existants, elle vise à démonter scientifiquement, dans un cadre de recherche, l’efficacité des programmes de prévention. En effet, le surpoids et l’obésité infantile sont évitables si les enfants à risque ou en situation de surpoids sont repérés précocement et pris en charge de manière adaptée, tout particulièrement par l’apport de conseils familiaux sur le régime alimentaire, l’activité physique et le bien-être dispensés à travers des ateliers éducatifs et ludiques.

ELIPSE s’articule ainsi autour de trois objectifs :

  • détecter précocement (dès le CP) les enfants à risque ou en surpoids/obésité confirmé,
  • orienter ces enfants vers un programme de prévention personnalisé et multidisciplinaire déployé dans le cadre d’une étude clinique prospective, totalement gratuit pour les familles et à proximité de leur lieu de vie,
  • étudier les facteurs de risque de l’obésité infantile et évaluer l’efficacité du programme de prévention.

Pour permettre la réalisation de ce projet d’ampleur, une collaboration a été mise en place avec deux associations de terrain reconnues pour leurs compétences sur ce type d’action : APESAL et PREVSANTE MEL. Grâce au soutien et à la mobilisation de tous les intervenants, en particulier la Ville de Lille, les directeurs d’écoles et les professeurs, le rectorat, les médecins traitants, l’URPS, nous avons pu démarrer l’étude ELIPSE l’année dernière, malgré une actualité encore fortement marquée par la crise sanitaire, avec un protocole sanitaire encore lourd dans les écoles, beaucoup des classes fermées, d’élèves absents… En dépit de ces difficultés 90% des écoles de Lille ont participé, 59% des familles ont donné leur accord et 83% des enfants avec autorisation ont été pesés et mesurés à l’école. Nos chiffres pour cette première année sont concordants avec les autres études : pour 34% de ces enfants on détecte déjà sur leur courbe de croissance un surpoids ou un risque ultérieur d’obésité. Actuellement, une cinquantaine de familles lilloises bénéficient ainsi du programme de prévention personnalisé offert par l’étude ELIPSE (voir le rapport complet ici).

On comprend que la prévention est primordiale dès le plus jeune âge, mais est-elle efficace chez tous les enfants repérés en situation de surpoids ? Si pour certains enfants elle n’est pas la solution, que peut-on leur proposer ?

Bien sûr la prévention précoce est primordiale, mais elle doit être surtout l’apanage d’une véritable politique de santé publique, au niveau local et national avec une mobilisation de tous les acteurs de la vie en société, pas seulement les soignants. Les soignants sont là justement pour ceux pour qui la prévention n’est pas suffisante. Il y a une grande part de génétique dans la détermination du poids d’un individu et chez certains enfants l’obésité est d’origine génétique. C’est pour cela que dans l’étude ELIPSE, nous proposons aussi aux familles un prélèvement salivaire afin de mieux comprendre les déterminants génétiques de l’efficacité ou non de la prévention chez certains enfants. En effet, certaines formes d’obésité ont une très forte composante génétique (mutation LEPMC4R, etc.) et peuvent entrainer des phénotypes d’obésité sévère et précoce, pouvant être associées à des troubles du comportement alimentaire tels que l’hyperphagie (faim insatiable) et des dysfonctionnements immunitaires et/ou métaboliques. Il est donc important de connaitre les prédispositions génétiques des enfants en surpoids ou obèses avant de mettre en place une prévention ou un traitement afin qu’ils soient le plus adaptés possible.

Nous pensons aussi que certains enfants en surpoids ou obèses peuvent présenter des profils métaboliques et immunométaboliques particuliers, ce qui pourrait expliquer l’efficacité parfois relative de certains programmes éducatifs déployés en population générale. En se basant sur la cohorte ELIPSE déjà initiée, nous voulons mettre en place le projet ELIPSE-PRIME dans le cadre de l’appel à projet IHU3 afin d’étendre le profilage de ces enfants à tout un ensemble de biomarqueurs métaboliques et immunoinflammatoires, et ainsi pouvoir leur proposer une médecine et une prévention de précision avec toujours pour objectif de développer des prises en charge et de nouveaux traitements encore plus personnalisés grâce à la recherche.

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Un blog consacré aux mille et une facettes du diabète.
Edité par Marc Gozlan, journaliste médico-scientifique